Chers amis,
Je voudrais continuer à vous informer de la suite de notre lettre écrite dimanche dernier, sur le meurtre de Mlle Honorine.
Depuis, nous avons vécu beaucoup de choses très fortes, en commençant par le premier face à face avec ce corps inerte, blessé, le visage déchiré, d’une personne que nous avions vue vivante la veille. Malgré ces blessures mortelles qu’elle a reçues, elle a gardé ce visage plein de douceur et de paix.
Dans ce récit, je voudrais partager avec vous ces moments d’une intensité indescriptible.
Ce jour 22 mai 2016, nous venons de faire un dernier au revoir à Mlle Honorine à Akamasoa. Nous l’avons fait avec un cœur lourd, mais en même temps avec un cœur plein de force et d’espérance, à la vue de l’accueil et de la solidarité que le peuple d’Akamasoa lui a montrés, depuis hier à l’arrivée de sa dépouille, jusqu’à la messe de ce matin, sans oublier la veillée d’hier. Des centaines de personnes l’ont accueilli avec un respect et une dignité impossibles à décrire.
L’espace culturel d’Akamasoa était plein à craquer, pourtant c’était 3 heures et demie de l’après midi. A partir de là, nous avons débuté avec une prière, où Saint Paul disait aux premiers chrétiens que « nous devions regarder la mort avec les yeux de la Résurrection ». Nos morts, ils ne sont pas morts, ils sont vivants, c’est pour cela que je n’ai pas utilisé le mot de défunte, mais parlé de Mlle Honorine, toujours vivante parmi nous, dans nos cœurs, dans notre esprit.
Une fois la prière finie, nous avons déposé son corps sur une table bien préparée, avec un tissu blanc, entourée de pleins de jolies fleurs. Puis les personnes ont commencé à chanter et à saluer la famille en apportant, suivant la coutume, une enveloppe, comme signe de solidarité, une aide pour les dépenses de la sépulture.
Les chants ont duré de 6 heures de l’après midi jusqu’à l’aube, sans cesse ! La veillée de Mlle Honorine a été faite dans une dignité, une paix, une sérénité qu’on ne peut expliquer. Des centaines de personnes sont restées toute la nuit, assises à même le sol, et ont chanté avec une conviction et une force qui auraient bouleversé les personnes les plus insensibles.
N’importe quelle personne venant de l’extérieur aurait pu s’extasier et chercher à comprendre : comment est-ce possible de chanter pendant 12 heures, sans aucun livre de chant ? D’autant plus que chaque chant était chanté avec tellement de vibrations et de force qu’on sentait l’âme des gens s’exprimer à travers eux, afin de vaincre cette douleur que nous subissions.
On sentait une union, plus encore, une communion de nous tous présents dans cette grande salle, pleine de personnes adultes, de jeunes et aussi d’enfants. Cela manifestait vraiment que la solidarité n’est pas un mot à Akamasoa, mais quelque chose de réel. Cette solidarité même, on pouvait la toucher, tellement la force de cette communion ressortait de ce peuple présent à cette veillée.
Je me suis retiré quelques minutes après minuit, et pourtant j’aurais voulu rester jusqu’à l’aube avec eux, mais je devais prendre un peu de repos, afin d’être capable de célébrer la messe quelques heures plus tard.
Quand je suis revenu vers 6h du matin, j’ai vu une queue interminable dans la cour, composée d’élèves qui pendant une heure et demie se sont succédé pour voir, s’incliner devant le corps et dire un dernier au revoir à Mlle Honorine.
Avec Mlle Honorine, nous avons aussi veillé la plus ancienne personne âgée d’Akamasoa, qui avait 94 ans, et que nous appelions Bebe Thérèse, morte le jour même. Nous avons ainsi veillé les deux corps au même moment. Ensuite, nous les avons transportés à l’église qui se trouve à quelques dizaines de mètre de l’espace culturel.
Dans une église pleine à son comble d’enfants et de parents, comme en un jour de fête, nous avons commencé la messe pour les âmes de Mlle Honorine et de Bebe Thérèse. Nous étions 4 prêtres pour célébrer, dont 2 confrères lazaristes, le père Philippe et le père Marek, et deux grands séminaristes, dont un était le neveu de Mlle Honorine. Un miracle particulier : 200 enfants de chœur filles ont voulu aussi être présents à cette Eucharistie, tout près d’elle.
Le père Donatien, vicaire général, qui représentait l’Evêque de Morondava, a lu l’Evangile et fait l’Homélie. Il connaissait Mlle Honorine et a fortement souligné sa joie de vivre et de travailler, mais aussi son caractère dynamique, son sérieux dans le travail et son sens du sacrifice pour le bien commun. Ensuite, j’ai pris la parole pour dire que Mlle Honorine était une femme d’une foi profonde et d’un courage exceptionnel. Malgré les difficultés, son sourire tendre et doux captivait toutes les personnes à qui elle s’adressait et qu’elle recevait de visite à Akamasoa. J’ai ajouté que souvent je devais la « chasser » du travail pour qu’elle n’arrive pas tard à sa maison, sachant l’insécurité permanente dans la ville d’Antananarivo.
J’ai aussi lancé un appel aux jeunes présents en leur disant que c’est à eux de reprendre le flambeau de Mlle Honorine et les ai enjoints à oser choisir les personnes courageuses comme exemple de vie, et non pas certains chanteurs qui incitent souvent à la vie facile.
J’ai également dit que jamais à Akamasoa, ne manqueront les jeunes courageux, ayant des valeurs humaines et spirituelles, pour reprendre le combat de Mlle Honorine. Akamasoa est une pépinière de personnes qui osent, qui ont la volonté de changer les injustices qui provoquent cette extrême pauvreté dans le pays.
Akamasoa aura toujours des jeunes prêts et décidés à affronter le mal et à lutter contre tout ce qui détruit l’être humain. Akamasoa est une source qui ne tarira jamais, puisqu’on ne peut pas tuer l’amour, la volonté, l’envie de treize milles jeunes qui veulent vivre et faire quelque chose de positif de leur vie.
Je sentais qu’il y avait un grand silence dans l’assemblée et je voyais même des larmes dans les yeux des enfants de l’école primaire et des lycéens.
A la fin de la messe, nous avons donné la bénédiction aux deux corps présents, puis les familles les plus proches et les compagnons de lutte sont venus asperger les cercueils avec de l’eau bénite.
A cause du manque temps, nous avons dû restreindre le nombre de personnes qui voulaient encore venir toucher le cercueil de Mlle Honorine. Et quand les hommes l’ont porté pour sortir, la foule a entamé des chants de bénédiction qu’elle aimait beaucoup, toutes les mains s’élevant en faisant signe d’au revoir à Mlle Honorine que nous aimions tellement.
Devant le parvis de notre église, les gens étaient encore là pour assister au départ du convoi de Mlle Honorine vers le tombeau ancestral qui se trouve à plus de 100 kms de Tana, en direction du sud.
Cette cérémonie d’adieu restera gravée dans notre cœur pour toujours, parce que nous venions de vivre ce meurtre ignoble, qu’on ne peut pas expliquer.
Ainsi nous avons vécu une messe d’une beauté, d’une paix et d’une émotion inexplicables. Comme quoi, le mal ne pourra jamais vaincre le bien, l’amour et la beauté de l’âme. Les personnes qui sont parties en tant que martyres vaincront pour l’Eternité.
Mlle Honorine repose en paix maintenant. Elle qui travaillait toujours, et ne savait pas s’arrêter, peut maintenant travailler pour nous à partir du ciel, afin de nous aider à continuer notre combat pour la justice, la paix, la fraternité, le partage et la joie.
Je dois dire que j’étais très heureux de voir tous les responsables d’Akamasoa prendre part à l’organisation de la veillée, à l’accueil des dizaines de personnes venues d’Antolojanahary, Fianarantsoa, Safata, Alakamisy-Ambohimaha, Morondava et Vangaindrano.
C’était très fort de voir que malgré le choc et la douleur, tous ses compagnons firent leur travail avec un grand dévouement, car il n’est jamais facile de diriger une foule de milliers de personnes. Très fort de voir cette unité, cette communion, parce que tous nous manquions de sommeil et étions fatigués. Mais tout cela passait au second plan. D’abord il fallait accueillir et servir ce peuple qui voulait exprimer son amour à Mlle Honorine.
Cette force de la communauté a certainement allégé notre douleur et notre souffrance. Parce que tout doucement, notre douleur se changeait en force et en espérance. Et aujourd’hui, après avoir fait l’enterrement de Bebe Thérèse, nous nous sommes retrouvés, avec les premiers responsables, et la réunion que nous avons faite s’est déroulé dans un grand partage, une grande amitié, un grand amour, et le sentiment d’avoir fait de notre mieux pour adresser un au revoir digne à cette personne si souriante et efficace que nous avions tant aimée.
De cette épreuve nous ressortons plus unis, plus forts et plus décidés que jamais à continuer d’éduquer nos milliers d’enfants et de jeunes, afin qu’il y ait beaucoup de Mlle Honorine qui désirent donner leur vie à leurs compatriotes, pour la foi et pour Madagascar.
L’injustice qu’elle a combattue toute sa vie, lui est retombée dessus et l’a tuée. C’est une victime, et nous ferons tout notre possible pour porter cette affaire aux autorités compétentes, afin que son meurtre soit élucidé, car il y a trop de gens qui meurent chaque jour, à Madagascar, et dont les meurtriers restent inconnus. Nous espérons que les responsables de l’Etat vont nous aider à éclaircir ce drame, et à trouver son coupable.
Des quatre coins du monde, d’Argentine, d’Australie, de France, la Réunion, Monaco, de Slovénie, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, Canada, Etats-Unis et de Madagascar, nous avons reçu des dizaines d’e-mails d’encouragement pour affronter cette douleur dans laquelle nous a plongés la tragique disparition de notre chère compagnon de lutte qui était Mlle Honorine, et nous manifester compassion et solidarité.
Mais nous avons aussi été très touchés par le geste du Président de la République Malagasy et de son épouse, qui ont envoyé une délégation importante pour nous faire part de leurs condoléances et de leur solidarité. Nous tenons à dire que nous avons beaucoup apprécié cette présence et ce geste, de la part des autorités les plus hautes de l’État.
Également, nous ont beaucoup émus les messages de 3 archevêques, Mgr Odon Marie Arsène Razanakolona (Antananarivo), Mgr Fulgence Rabemahafaly (Fianarantsoa), Mgr Benjamin Ramaroson (Antsiranana) et l’évêque de Morondava Mgr Fabien, tous très attachés à l’œuvre Akamasoa.
Je pense aussi à Mme Anne Dubois, une personne amie, acquis à notre combat, et qui vit sur place, présente à la veillée et à la messe du lendemain, les larmes aux yeux face à cette injustice.
On sent que l’opinion est très sensible à toute injustice perpétrée contre des innocents. Et cela signifie que n’importe quel crime, fait dans n’importe quel endroit du monde, ne peut plus être passé sous silence. L’opinion publique de nos amis, à travers des dizaines de pays, est une force pour nous et aussi un bouclier pour les prochaines épreuves.
Merci de tout cœur à tous ceux qui nous ont écrit et qui ont partagé notre souffrance. Notre douleur pour cette perte est aussi grande qu’inattendue.
Dieu bénisse tous nos amis à travers le monde pour leur amour et leur aide !
Sachez que cette pépinière d’Akamasoa, par la grâce, la force et l’esprit de Dieu ne disparaitra jamais.
Aux noms de tous les enfants et du peuple d’Akamasoa, nous vous embrassons fortement !
Père Pedro